Quand mon vrai père il est mort pour de faux

POSTED IN publiés, romans 20 octobre 2004

 

 

 

Éditions Osmondes -2004


Un jeune assassin d’enfant, rongé par la quête terrifiante d’un amour exclusif, raconte avec humour et gravité ses dix années d’errance géographique et psychologique. Ce récit dramatique offre matière à une réflexion sur le rôle des travailleurs sociaux, des psychiatres et des juges lorsque les causes de la souffrance et de la violence meurtrière résistent à la prise en charge. À la fois docu-roman et autobiographie fictive, cette histoire émouvante et sans concession ne laisse pas indifférent.


Le lendemain matin, on est retournés à l’église comme le mois d’avant pour mamie Roseline. Il faisait super beau, mais on était quand même limite de se les geler dans la grande baraque en pierre du curé. On s’est retrouvés avec la moitié du quartier alignée sur les chaises en paille. Y’avait quasi toutes les voisines et les bonhommes en retraite, au chômage, ou qui pouvaient plus bosser à cause de l’huile de vidange qu’ils crachaient dans le caniveau. Entre les spectateurs et l’estrade où le curé était déguisé en Blanche Neige, y’avait le colis en bois où mon petit frère était allongé, raide comme ma gounette du matin.

L’église devait être en travaux et les ouvriers du cureton devaient pas avoir eu le temps de ranger leur bazar, parce que le colis de mon petit frère était posé sur des tréteaux et une planche où il restait collé du papier peint brillant de la même couleur que les varices de ma mère.

Sur le côté de la scène du curé, la mère Delbecque gonflait un gros soufflet de forge pour qu’une autre vieille avec une perruque violette puisse faire de la musique qui fait pleurer avec un petit piano plein de boutons et de pédales.

Au dessus d’elles, le soleil était juste derrière un grand carreau plein de dessins en couleur. Ca représentait une douzaine de vieux à barbes, habillés en bonnes femmes, avec des assiettes derrière la tête. Ils étaient assis devant une grande table avec au milieu un mec enveloppé dans un drap blanc qu’était le seul à se taper une miche de pain et un verre de pinard. Les autres ils le regardaient en souriant mais y devaient faire la gueule que le serveur du resto leur ait encore rien donné à bouffer!

Quand le curé a fini par arrêter de ranger des bibelots en plaqué or sur la cheminé du fond, il s’est mis à causer dans un boulet de charbon qui sortait d’un tuyau de douche. On a entendu sa voix vachement forte qui résonnait comme à la gare pour dire que les trains ont du retard. J’ai baissé la tête pour le regarder lever les bras au ciel comme le sergent Garcia quand il se fait choper par Zorro. Comme il s’est mis à lire dans un gros bouquin des trucs que j’avais rien à foutre, et que je voulais pas trop regarder en bas le paquet de Cédric à expédier, j’ai préféré mater la statue du mec à poil au dessus de sa tête. Le type maigrichon en plâtre avait juste un torchon de vaisselle sur le zizi et les transitions avaient dû lui coller un début de panier en branches piquantes sur le front avant de le clouer n’importe comment sur une poutre de grenier. Les clous lui dépassaient des pieds et des mains comme sur leurs meubles en ruines qu’on peut gagner à la tombola.

Je me suis rendu compte que ce mec qui pendait en saignant des paluches et des panards comme une marionnette de guignol qu’aurait cassé ses ficelles, y ressemblait vachement à celui du carreau en couleur. J’ai repensé aux tableaux en peinture, que j’avais vus en rentrant, alignés comme dans un Spirou, le long des murs de l’église. J’ai compris que ça racontait l’histoire du bonhomme. Les barbus en manteaux de gonzesse, ils en avaient eu marre de voir le mec se caler les gencives et picoler tout seul sans partager. Ils l’ont emmené chez le Shérif qu’était en train de se laver les pognes dans une cuvette pour qu’il lui colle une punition. Le pauvre type avait dû traverser toute la ville sans ses fringues en portant ses poutres sur le dos pendant que des zigues lui crachaient à la gueule ou lui collaient des coups de trique sur le cul. Arrivé en haut d’un terril, ils avaient demandé à Mamadou et aux autres transitions de le punaiser sur les madriers en même temps que le serveur et le patron du resto qu’avaient pas fait leur boulot. Une fois qu’il avait séché comme un prisonnier des nazis, ils l’avaient accroché en grand au fond de l’église, et en maquette chez la mère Delbecque pour qu’il serve d’exemple aux mômes égoïstes qui veulent pas partager leurs tartines.

Le curé à fini par arrêter de débiter ses salades aussi chiantes qu’une leçon de grammaire. Il est descendu de son estrade avec une matraque en plaqué or pour se pointer devant la boite où mon petit frère attendait qu’on lui colle une étiquette et un coup de tampon d’encre bleue.

Le soleil est passé derrière un nuage et toutes les taches de couleur qui décoraient le colis de Cédric ont disparu. C’est là que je me suis rendu compte que le colis de Cédric c’était de la pacotille. Le curé y devait être comme la receveuse des postes : si t’avais pas de ronds, il te mettait dans un paquet à cent balles qui coûtait moins cher à poster au ciel.

 

Comments are closed.

Loading